in

ENTRE PESSAH ET CHAVOUOT : DE LA VISION AU VERBE

Nos sages (Ramban dans son commentaire sur la Torah) affirment que la période s’étalant de Pessah à Chavouot ne forme qu’une seule et même entité, une sorte de Hol Hamoed s’étirant sur cinquante jours. En effet, Chavouot est aussi appelé Atzeret, la fête qui arrête, tout comme le huitième jour de Souccot, Chemini Atzeret, le huitième jour qui vient annoncer la fin de la fête. La raison pour laquelle il n’y a pas de huitième jour à Pessah pourrait donc être la suivante: les 49 jours de l’Omer ainsi que la fête de Chavouot elle-même constituerait un très long “huitième jour de Pessah”.

Nous savons l’importance du huitième jour: il vient révéler le lien supra-naturel qui relie D.ieu à Israël. Alors que le septième jour est la manifestation de l’ordre de la nature- certes d’origine divine-, le huitième jour symbolise la relation au-delà de cet ordre rationnel, et qui n’appartient qu’à Israël. Seul ce dernier est habilité, par le biais de l’étude de la Torah et du respect des commandements, à instaurer un espace intime entre Son Créateur et lui. Cet espace se manifeste notamment lors des fêtes et du Shabbat. Nous connaissons le Midrach qui annonce la fête de Chemini Atzeret comme un repas en “tête-à-tête” entre D.ieu et le peuple d’Israël, après que tous les autres convives, symbolisant les soixante-dix nations qui avaient été invitées pendant les sept jours de Souccot, sont congédiés.

Les cinquante jours entre Pessah et Chavouot étant également, comme nous l’avons vu, de l’ordre du huitième jour, ils viendraient signifier que ce temps recèle la potentialité d’une relation intime et hautement spirituelle entre D.ieu et Israël. Qu’avons nous à découvrir du plus profond de nous dans cet intervalle de temps?

En analysant les versets relatifs à chacune des fêtes, il nous semble que Pessah s’inscrit dans la modalité de la vision, alors que Chavouot renvoie à l’audition, au dire. En effet, la Torah multiplie les versets concernant les visions qu’ont eues les enfants d’Israël pendant les sept jours de la sortie d’Egypte. Ainsi, lors de la traversée de la mer rouge: “Israël VIT les égyptiens gisant sur le rivage de la mer” (Exode 14, 30). Et à la suite de cette vision, le peuple acquit une foi profonde en D.ieu et Moïse: “Israël reconnut alors la haute puissance que D.ieu avait déployée sur l’Egypte, et le peuple révéra D.ieu; et ils eurent foi en D.ieu et Moïse, son serviteur”.

La juxtaposition de ces deux versets nous fait comprendre que de la vision peut émerger une foi entière en D.ieu et Ses prophètes. La vision serait-elle le canal le plus élevé pour atteindre la proximité avec D.ieu, la Dvekout ? Le Zohar, par exemple, abonde dans ce sens, puisque l’expression qui introduit un enseignement est “ Viens et vois”: c’est donc la vision qui sera le vecteur de la compréhension des secrets de la Torah contenus dans le livre de Rabbi Shimon Bar Yohai. La Guemara, quant à elle, préfèrera l’expression “viens et écoute” comme prolégomène à ses enseignements. Et c’est également sur le mode de l’audition que se situe la fête de Chavouot: la péricope d’Ytro n’ouvre-t-elle pas le récit du don de la Torah par “Et Dieu PRONONCA toutes ces paroles” (Exode 20, 1)?

Y aurait-il ici une dialectique incontournable entre la vision et la parole? La première apporterait l’avantage d’une foi inébranlable, grâce aux images incrustées à jamais dans le coeur et l’esprit des Enfants d’Israël. La seconde permettrait la compréhension logique, profonde de la Torah. Car sans l’écrit, que resterait-il pour appréhender la Sagesse Divine? La Torah et tous les livres saints ont besoin de ce véhicule que sont les vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu. D’ailleurs, le Sefer Hayetzira nous révèle que le monde a été créé par l’intermédiaire de ces mêmes lettres « Par 32 voies mystérieuses de sagesse, Yah, l’Eternel Tsevaot, le D.ieu d’Israel, D.ieu vivant, D.ieu tout-puissant, élevé et sublime, habitant l’éternité et dont le nom est saint, a tracé et créé Son monde, sous trois formes: dans l’écriture, le nombre et la parole. Ce sont les dix séfirot primordiales (bélima) et les vingt-deux lettres fondamentales, dont trois principales, sept doubles et douze simples » (chapitre 1, michna 1, traduction M Lambert, Verdier 2001, p 11). Les lettres (avec les séfirot) recèlent tous les secrets que D.ieu a bien voulu révéler à son peuple. Et l’étude de la cabale ne consiste qu’à essayer de décrypter les messages contenus dans et entre les assemblages de lettres que D.ieu nous a envoyés à partir du Mont Sinai.

Non, il n’existe pas de dialectique entre la vision et la parole. La dialectique est d’ailleurs une notion grecque et occidentale visant à opposer de façon quasiment insoluble deux termes d’une proposition. La Torah en général, et la Cabale en particulier, nous enseigne que l’approche juste est celle de la complémentarité, et non de l’opposition. La bonté n’est pas l’opposé de la rigueur, mais ces deux qualités peuvent- doivent?- coexister pour donner naissance à un troisième terme qui sera un mélange subtil des deux, la miséricorde. Ainsi, pour atteindre un degré maximal de compréhension de la Torah, et tenter de s’approcher de la Présence Divine, la Shekhina, il faudra utiliser ces deux vecteurs dont nous a dotés D.ieu, à savoir et la vision et l’écoute. Ne serait-ce pas ce que le verset veut nous enseigner: “Et tout le peuple vit les voix”? Le Ramhal résume cette idée dans une expression tirée du Midrach (Sifri sur Bamidbar 12, 8): « La vision de la Parole (Mar’é Hadibour) » qui vient associer la révélation prophétique, qui apparaît sous la forme d’une image, avec la compréhension de la Parole Divine, qui se fait par le biais de l’écoute (La Voie de D.ieu, troisième partie, fin du chapitre 5). Ainsi, l’image (telle qu’elle est véhiculée par les prophètes) est le support indispensable pour une révélation profonde, mais celle-ci ne s’achèvera qu’à travers une compréhension et une interprétation de ces images vues par le prophète; compréhension au-delà de l’intellect, qui embrasse et unifie tous les sens pour les amener à la contemplation de « l’éclat de la Présence Divine ».

 

Certes, Hegel proposera son fameux schéma de la “thèse-antithèse-synthèse” mais il ne s’agit que d’une tentative de réunir deux termes qui sont vus comme fondamentalement contradictoires

 

Nous faisons référence ici à trois composantes de l’arbre séphirotique, à savoir hesed gvoura et tiferet

Extrait de  L’ESSENCE DE LA TORAH ou La Torah éclairée par la Cabale

Par Rav Mordékhai Chriqui et Dr Avraham-Gilles Morali

Ce livre est en vente sur le site http://www.frramhal.com/L-essence-de-la-Torah-PETIT-FORMAT-1.html

Yom Yeroushalayim : comment marquer la fête?

Chavouot : La fête du don de la torah